Ségolène Royal apparaît, dans son quartier général du boulevard Saint-Germain à Paris (VIIe arrondissement), tranquille et déterminée. Tranquille comme une candidate qui, non contente d’avoir le 22 avril accédé au second tour, a fait mercredi soir devant tous la démonstration de sa pugnacité, elle que beaucoup jugeaient incompétente et d’abord fragile. Déterminée comme une femme qui se sent, au final, poussée par une « vraie ferveur populaire » et croit toujours, n’en déplaise aux sondages, qu’elle peut gagner sur le fil dimanche. Alors que François Bayrou a confirmé hier qu’il ne voterait pas Sarkozy, elle rêve de disposer à l’Assemblée, au-delà des clivages habituels, de « la majorité la plus large possible ». « Avec moi, martèle-t-elle, visant implicitement son rival, il n’y a aucun risque. Vous avez tout à gagner... » Réponse dimanche à 20 heures.

Quel est, chez vous, le sentiment dominant après le débat télévisé de jeudi soir ?
Ségolène Royal. J’ai défendu mes idées.

Vous n’avez aucun regret ?
On a toujours des regrets après un débat, parce qu’on n’a pas dit tout ce qu’on aurait voulu dire. Mais, globalement, ce débat a été éclairant sur le choix qui s’offre dimanche aux Français entre deux projets de société, deux visions de la France. Comment vous est apparu Nicolas Sarkozy ? Sur la défensive. Et, parfois, j’ai eu l’impression qu’il était en difficulté. Je pense notamment à nos échanges sur la sécurité, l’environnement, le nucléaire, la scolarisation des enfants handicapés. Ce dernier sujet est, pour moi, révélateur d’un certain comportement politique dont les Français ne veulent plus.

Nicolas Sarkozy dit qu’il vous a trouvée agressive...
C’est son habitude de se sentir agressé dès qu’on n’est pas d’accord avec lui. Or, c’est simplement le débat politique qui doit être mené avec conviction et passion. Car je crois profondément à la politique.

Vous, vous n’estimez pas avoir été agressive ?
Non, j’ai rempli mon rôle. Avec la volonté qu’on comprenne qu’avec moi, les intérêts des Français seront bien défendus et que je ne me laisserai pas faire.

Votre stratégie était, à vos yeux, la bonne ?
Je voulais que ce débat montre clairement quel est l’enjeu de dimanche et notamment en quoi Nicolas Sarkozy est responsable du bilan du gouvernement actuel. Je voulais aussi montrer la démagogie de certaines de ses propositions. Ainsi, après avoir visité un foyer de femmes battues sans papiers, il leur a promis la régularisation. Comme je n’imagine pas que le propos ne valait que pour ce foyer-là - ou alors l’impartialité de l’Etat serait remise en cause - ,vous imaginez jusqu’où sa promesse peut conduire ! D’autant qu’il a promis aussi un autre jour la nationalité française à toutes les femmes martyrisées du monde. Ce qui doit représenter au moins 200 millions de personnes ! Soit Nicolas Sarkozy promet n’importe quoi, soit il n’est pas responsable. Combien de promesses, en réalité, pourrait-il tenir ? Sûrement pas ses promesses d’allègements fiscaux, qui dépassent de loin ce que Margaret Thatcher a fait en dix ans de pouvoir et qui conduirait à la ruine des services publics. Et puis son programme est rempli d’injustices. Je ne citerai que le bouclier fiscal, qui consiste à rembourser une partie de l’impôt des plus riches contribuables, comme cette riche héritière qui vient de récupérer plus de 7 millions d’euros.

Un échange a beaucoup frappé. Nicolas Sarkozy vous a reproché de perdre vos nerfs et vous lui avez répondu qu’il y a des indignations, même pour un chef d’Etat, sincères et saines...
C’était un temps fort, oui. Je porte des convictions. Je ne suis pas dans le calcul. Le sort réservé aux élèves handicapés à l’école ne peut laisser personne indifférent. J’avais imposé l’accueil des enfants trisomiques à l’école maternelle et, aujourd’hui, le gouvernement est revenu en arrière et on ne veut plus d’eux : est-ce que cette situation scandaleuse, cette souffrance des familles ne méritent pas du coeur et de l’indignation ?

« On n’imposera pas d’en haut, par la loi, une extension des 35 heures »

Mercredi soir, l’échange sur le nucléaire a été plutôt confus...
J’apporte une précision : le pourcentage de 17 % que j’ai évoqué représente la part du nucléaire dans la totalité de l’énergie consommée, et non la part de l’électricité produite par le nucléaire. Quant aux 50 % que Nicolas Sarkozy a cités, cela ne correspond à rien. Sur le fond, il ne sait ni que l’EPR, c’est la troisième génération du nucléaire, ni que les gisements d’uranium risquent d’être épuisés d’ici quelques dizaines d’années. Même sur le nucléaire iranien, il n’a pas maîtrisé le sujet, car, aujourd’hui, ce n’est pas le nucléaire militaire qui est en cause : la prolifération s’organise à partir du nucléaire civil.

Sur les 35 heures, vous avez dit qu’il n’y aurait pas généralisation automatique...
Une des révélations du débat a été l’acceptation par Nicolas Sarkozy de ce que les 35 heures constituent désormais en France la durée légale du travail, sur laquelle il ne reviendrait pas. Soit les 35 heures sont nocives à l’économie, comme le disent le Medef et le candidat sortant, et il faut qu’il ait le courage politique de les supprimer. Soit c’est un acquis social et une mesure qui a créé de l’emploi, comme je le crois, et il faut les défendre, même s’il faut tirer des leçons pour mieux faire.

Vous, vous avez admis que la deuxième loi sur les 35 heures avait été, pour le moins, brutale...
J’ai dit que la deuxième loi avait été précipitée et qu’il n’y aurait pas demain de généralisation des 35 heures aux PME sans accord des partenaires sociaux, branche par branche.

Cela veut dire quoi ?
Cela veut dire que le débat sera ouvert et que, s’il n’y pas d’accord, on n’imposera pas d’en haut, par la loi, une extension des 35 heures.

Y a-t-il encore aujourd’hui un vrai clivage droite-gauche sur les 35 heures ?
Non, puisque Nicolas Sarkozy s’est aligné sur ma position !

Vous avez aussi indiqué qu’il n’y aurait pas de régularisation systématique des sans-papiers...
Je le confirme. Les régularisations auront lieu sur des critères. Mais dans des conditions honnêtes : nous ne dirons pas, nous, avant l’examen des dossiers, combien il y aura, à l’arrivée, de personnes régularisées en créant autant de drames humains. Avec moi, les règles seront claires.

« J’ai trouvé Nicolas Sarkozy désinvolte »

Vous avez évoqué le cas de cette policière violée en Seine-Saint-Denis alors qu’elle regagnait son domicile après son service. Vous auriez souhaité qu’elle soit raccompagnée...
J’ai trouvé Nicolas Sarkozy désinvolte. D’autant que ce viol atroce avait été précédé, en mars, au même endroit, d’un autre viol. Et aucune disposition concrète de protection n’avait été prise entre-temps. Dans les quartiers ultrasensibles, je considère qu’il faut raccompagner la nuit les femmes policières - et peut-être même tous les policiers -, comme cela se fait déjà au Québec. On peut imaginer qu’une patrouille puisse faire un détour pour les redéposer chez elles.

Certains vous reprochent, à propos des enfants handicapés, d’avoir surjoué la colère...
La capacité d’indignation d’un responsable politique sur une telle question est une qualité et non pas un défaut. Je ne veux pas qu’on exploite la misère des gens pour faire de la commisération. Or, Nicolas Sarkozy donne de plus en plus dans ce registre. Il imite George W. Bush dans cette technique du compassionnel conservateur. On pleure sur les gens. On utilise les faits divers et, lorsqu’on est aux responsabilités, on n’agit pas pour le présent et on promet pour demain. Voyez les campagnes électorales de Bush, mais, quand il y a eu la catastrophe de La Nouvelle-Orléans, on ne l’a pas vu sur le terrain !

Il y aurait un parallèle entre Bush et Sarkozy ?
Il porte la même idéologie néoconservatrice. Il n’hésite pas à envisager de démanteler les services publics, alors qu’on a tant besoin d’infirmières, d’enseignants. Moi, je suis pour redéployer, pour bouger, mais pas pour supprimer.

Qu’auriez-vous envie de dire à ceux qui hésitent encore ?
Depuis des mois, il y a eu une campagne orchestrée par la droite mettant en doute ma compétence, voire m’accusant de fragilité. Je pense que le débat a permis de rétablir la vérité aux yeux de tous les Français. Tous ceux qui me connaissent le savent : je suis une femme solide, au clair sur mes convictions, capable de défendre les intérêts de la France. Aux indécis, je dis donc : « Ayez confiance. La France sera bien présidée et ses intérêts défendus. »

« Le seul sondage qui vaille, c’est le vote des Français »

Vous insistez sur le fait que vous souhaitez être la présidente d’une France apaisée. Vous suggérez qu’avec Nicolas Sarkozy, le pays connaîtrait des turbulences, voire des troubles ?
Je souhaite rassembler une majorité de Françaises et de Français sur mon pacte présidentiel et sur les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité. Je ne fais pas, comme Nicolas Sarkozy, de procès d’intention. Je pense, en effet, que ses propositions - qui consistent à privilégier toujours une catégorie au détriment des autres, à chercher en permanence un bouc émissaire, à ne pas être respectueux des Françaises et des Français, bref à jeter de l’huile sur le feu comme on l’a vu avec l’emploi de mots violents comme Kärcher - divisent et ne peuvent pas ramener la sérénité et la confiance dont nous avons besoin. La fermeté, ce n’est pas des mots, mais des actes !

Votre première décision dimanche si vous êtes élue ?
Ma première décision sera de constituer la meilleure équipe gouvernementale pour la France. Et, après, d’agir vite.

Le Premier ministre sera-t-il, comme l’assure François Hollande, socialiste ?
C’est l’hypothèse la plus probable, mais je ne m’interdis rien.

Quel sera votre premier chantier ?
Celui des emplois tremplins pour les jeunes. Je réunirai tout de suite les présidents de région et je leur dirai de mettre en place tout de suite, en concertation avec l’Etat et les chefs d’entreprise, le premier volet du plan prévu pour cinq ans et qui doit conduire à la création de 500 000 emplois. Sans oublier les contrats première chance pour les jeunes sans qualification. Et puis nous réunirons très vite la conférence nationale sur les salaires pour décider rapidement de la revalorisation du smic, des petites retraites et aussi des bas salaires afin que la hiérarchie des salaires ne soit pas écrasée. Il faut redonner confiance aux acteurs économiques de notre pays et faire repartir la croissance. Je m’y engage. Et puis je préparerai la rentrée scolaire pour que, dès septembre, la priorité éducative soit une réalité.

« Avec moi, vous avez tout à gagner »

Tous les sondages disent que Nicolas Sarkozy va gagner...
Ah, les sondages ! Pour moi, le seul qui vaille, c’est le vote des Français. A ceux qui n’ont pas encore choisi, je dis : « Avec moi, il n’y a aucun risque, vous avez tout à gagner. » La France, si je suis élue, sera une France rayonnante et confiante dans son avenir. Je m’appuierai sur la majorité la plus large possible, car il faut sortir de l’affrontement bloc contre bloc. Je travaillerai avec tous ceux qui m’ont soutenue ou dont les idées convergent largement avec mon projet. Je tiendrai compte du vote des Français. Et notamment de celui qui s’est exprimé au premier tour. On ne peut pas faire comme si François Bayrou n’avait pas réuni sur son nom plusieurs millions d’électeurs. Une démocratie moderne, c’est aussi cette capacité à sortir de l’affrontement systématique.

Si vous êtes élue, avec quel partenaire européen souhaitez-vous établir en premier le contact ?
Tout de suite, avec la chancelière allemande Angela Merkel. A cause de l’Europe qu’il faut relancer.

Interview réalisée par Philippe Martinat, Dominique de Montvalon et Nathalie Segaunes (Source : Désirs d’Avenir)