Les jeunes économistes disent oui à Ségolène Royal. Réunis jeudi soir à l’école normale supérieure de Paris à l’initiative du mécène Pierre Bergé, une brochette d’économistes français sont venus dire, non sans esprit critique, tout le bien qu’ils pensaient du programme économique de la candidate socialiste et de sa capacité à ranimer la croissance en France.

Issus pour la plupart de la toute nouvelle école d’économie de Paris inaugurée il y a deux semaines par le premier ministre Dominique de Villepin, ils se sont engagés en faveur d’une politique résolument réformiste mais ancrée à gauche c’est à dire loin d’une vision sarkozyenne qualifiée à de multiples reprises de «rétrograde», «incohérente» ou encore «dangereuse».
Seuls Thomas Piketty et Daniel Cohen, à l’origine de la PSE (Paris school of economy) étaient absents mais avaient envoyé des messages de soutien. Au final deux heures de débats très denses, souvent de haute volée pour dire que contrairement aux idées reçues et ce que dit la droite, la France n’est pas si figée, s’est déjà largement modernisé et adapté à la nouvelle donne internationale ces dernières années et que les marges de manoeuvre existent sans avoir besoin d’en passer par une réforme radicale à la manière d’un Nicolas Sarkozy.

Spécialiste de l’économie de la connaissance, Philippe Aghion qui enseigne à Harvard a d’abord insisté sur la nécessité de rattraper le retard de la France dans l’enseignement supérieur. «Dans l’économie de l’innovation, il faut moins mettre l’accent sur l’enseignement primaire ou secondaire que sur le supérieur» a-t-il expliqué avant d’ajouter que ce qui manquait le plus aux entreprises pour se développer n’était pas de nouvelles réductions de charges mais des possibilités d’accéder à un marché du crédit bancaire trop fermé.

«C’est un facteur très inhibant en France qui freine gravement l’investissement dans les entreprises innovantes» a-t-il dit. Il a martelé sans cesse la question du choix entre un modèle nordique, celui de la flexsécurité danoise et de relations sociales facilitées entre syndicats et patrons et le modèle anglo-saxon, celui d’une dérégulation du marché du travail qui d’après les participants est celui de Nicolas Sarkozy.

Tous les participants ont insisté sur la nécéssité de formations «plus qualifiantes» et «tout au long de la vie». Un impératif d’autant plus indispensable que le marché du travail est en profonde mutation comme l’a expliqué Eric Heyer de l’OFCE, l’observatoire français des conjonctures économiques.

Brisant une idée reçue, Eric Heyer a démontré, chiffre à l’appui, que le manque d’activité en France était surtout le fait des séniors, incapables de se maintenir sur la marché du travail s’ils sont peu ou mal formés. «Le taux d’activité des 25-49 ans est un des plus hauts d’Europe, a-t-il expliqué, par contre les résultats sont très mauvais concernant les seniors et c’est là que doit porter l’effort. Il faut que les départs en retraite cessent d’être la variable d’ajustement des entreprises».

Spécialiste du marché du travail, Philippe Askenazy a reçu une salve d’applaudissements lorsqu’il s’en est pris à la conception «très rétrograde» du travail selon Nicolas Sarkozy. «Sa vision est celle de la pénibilité, du labeur, le travail selon lui est fait pour souffrir» a-t-il déclaré en défendant le caractère plutôt souple des 35 heures.

Les participants ont également insisté sur le lien «pas évident» selon eux entre l’emploi et la rigidité du marché travail et dénoncé le fait que «c’était toujours les mêmes, soit environ un tiers des salariés qui passent de CDD en CDD à qui l’on demandait d’être flexibles».
L’occasion d’aborder la question du contrat unique, vantée par la droite et que la plupart des participants n’ont pas jugé «prioritaire» sans l’exclure pour autant. «Faire un contrat unique, ça veut dire faire un CNE pour tous, a expliqué Eric Heyer, toute la question est de savoir où l’on place le curseur de la période au cours de laquelle le contrat peut-être cassé sans contrepartie. A 24 mois, 12 mois, 6 mois? Toute la difficulté est là».

Avec Thomas Philippon, il fut enfin question de relations sociales et de la nécessité pour la France de réformer son pacte social comme le propose Ségolène Royal en poussant les partenaires sociaux à s’entendre et en faisant passer l’Etat au second plan, du rôle d’orchestrateur des relations sociales à celui, plus subtil, de facilitateur. «La France est 99ème sur 102 dans un récent classement, au même niveau que le Venezuela, a-t-il expliqué, il ne peut pas y avoir de croissance saine en France sans relations sociales renouvelées».

(Source : Libération)