On nous dit qu'elle n'a pas de programme. On souligne une incompétence supposée, on n'en finit pas de monter en épingle ses "maladresses". D'emblée, on a tenté de lui tendre des pièges, de la ridiculiser, de la mettre face à ses contradictions, alors que nous vivons depuis des décennies avec des hommes qui ne cessent de salir leurs engagements publics, qui ne cessent, avec un culot déconcertant, de dire tout et son contraire, de trahir les leurs. Mais que veut-on ? Que font les intellectuels, les artistes pour se rallier au candidat ultralibéral qui pratique l'entourloupe, la démagogie, la tromperie ? Candidat qui s'approprie sans vergogne Jaurès et Blum pour nous proposer demain une société rigide, bien dans ses bottes. Celui-là même qui crache sur Mai 68 et sur les acquis.

Et quand on écoute, à Grenoble, les jeunes au débat participatif de Ségolène Royal sur la jeunesse, on est surpris du ton des interventions, de leur maturité, de l'absence totale d'hystérie. Oui, les jeunes étaient graves et conscients du rôle qu'ils pourraient jouer. Alors pourquoi cet acharnement, pourquoi mes amis (des hommes souvent) restent-ils si sceptiques, si méfiants ? D'où vient ce recul, cette prudence ? On veut étouffer la femme qu'elle est, on ne veut pas lui donner sa chance. Pourquoi ? Ça n'a rien à voir avec le sexe, disent-ils. Je n'en crois rien. On ne pardonnera rien à une femme, on la cantonnera dans un périmètre bien défini, bien déterminé, au-delà duquel elle ne peut s'aventurer, sinon elle court à sa propre perte.

Je crois que notre candidate avance à son rythme, comme elle le sent, comme il le faut, en accord avec ce qu'elle peut donner et faire, en accord avec elle-même. Car une campagne électorale est un corps vivant, qui bat, recule, avance, qui a sa propre musique. Et si elle n'avait pas ce génie-là, si elle n'avait pas ce sens de double vue, elle serait un corps mort qui va droit dans le mur. Or Ségolène Royal est une lame d'acier, elle a une pêche d'enfer, une foi intérieure qui la rend combative. Elle avance étape après étape, elle prend le temps de se déployer, de passer les différentes vitesses, de faire émerger les lignes de force. Elle a le sens du temps, comme d'autres avant elle. Elle devance le désamour des politiques, de la politique. Elle s'est usée, épuisée dans des primaires démocratiques à l'honneur de son parti. Elle a affronté des hommes. Elle a mis tout son talent, toute sa force à ne pas craindre d'arriver en première ligne.

A nous, à eux, de se rallier à elle, comme un seul homme, à nous, à eux, de croire que tout est possible. L'heure est grave, très grave, on ne veut pas en prendre pour cinq ans de plus, avec un gouvernement qui sera pire que celui que nous avons depuis douze ans. Observons bien la voracité du concurrent désigné dans cette campagne qui n'a pas encore commencé et qui en dit long pour le présent et surtout pour le futur. Je ne comprends pas comment les amis de gauche et d'extrême gauche peuvent se laisser aveugler par un danger réel qui s'annonce, qui nous menace, qui nous coupera les élans de créativité, de fraternité. Ce n'est pas la droite qui encouragera le travail des associations culturelles ou l'engagement de tous dans le syndicalisme. A qui laisserons-nous le soin de réformer la France, l'éducation nationale, à qui laisserons-nous l'avenir de la culture, du travail, de l'écologie, à qui allons-nous confier la réduction de la dette ?

Si vous craignez de ne pas connaître les idées de Ségolène Royal, son programme, ses mesures, vous connaissez sans doute celles de la droite. Allez-vous vous ranger derrière le Medef ?

On nous dit que la campagne de Ségolène Royal patine ou que notre candidate vaut mieux que le parti qui la soutient. En vérité, on nage dans la mauvaise foi, l'aveuglement, la grande surdité. Car si on veut l'entendre, si on veut écouter ses mots, il faut faire l'effort d'aller les récolter. Elle ne cesse pas de parler, de répondre à toutes sortes de questions, de questionnements. Il faut sortir du microcosme parisien largement et honteusement occupé par une mafia qui continue aux yeux de tous à s'approprier le bien public. Il faut se demander pourquoi elle a pris le temps de ces "débats participatifs" audacieux qui sont autre chose que du populisme.

A Grenoble, j'ai vu une jeunesse fervente, active, enthousiaste, à qui on a donné des réponses précises sur des questions concrètes. J'ai vu autre chose que le ramollissement ou le désespoir. Alors on doit pouvoir s'amuser à faire l'inventaire de la récolte et donner à goûter le fruit du produit. L'information doit être accessible à tous, malgré une presse partisane. Les nouveaux médias nous ouvrent la possibilité de sortir des sentiers balisés.

Certains, plus royalistes que le roi, semblent tentés de demander à Ségolène Royal de se retirer, si la situation devait s'aggraver. Mais au nom de quoi la défaite serait plus humiliante pour une femme ? Le plus humiliant serait de ne pas avoir le droit de lutter. Les combats politiques de Raymond Barre, François Mitterrand, Lionel Jospin, Jacques Chirac et de tant d'autres sont jalonnés d'insuccès. Se retirer de la course ? Pour rendre service à la cause des femmes ? Non, les femmes veulent participer à ce combat, elles sont prêtes à y faire face, à en subir le mauvais versant.

Ségolène Royal n'est pas née de la dernière pluie, et aucun homme, encore moins aucune femme, ne doit lui couper l'herbe sous les pieds. Elle n'a pas changé, elle le dit, on le sent, contrairement à "l'autre" qui fait de la rupture son crédo, qui se contredit avec aplomb, jour après jour, qui fait comme s'il n'était pas au pouvoir depuis des années, et ose parler de droit opposable au logement, dans une mairie qui n'en compte presque pas. On se moque de nous avec mépris, il ne faut pas étouffer une autre voix, différente, nouvelle, qui se lance dans le combat.

(Extrait du journal Le Monde)